
Compte rendu de la présentation du Bilan 2024 / Perspectives 2025 par François Pinochet le 6 février 2025.
Comme chaque année, la première grande soirée de l’année est l’occasion de présenter l’Observatoire des Stratèges. Notre position d’observateur privilégié du secteur de la communication dans notre région, nous permet de vous faire un synthèse des confidences que nous glanons tout au long de l’année auprès de vous membres annonceurs et agences.
Ce faisant, nous n’avons pas la prétention de détenir la vérité, ni d’être exhaustif dans nos observations mais nous considérons que la communauté des Stratèges est suffisamment large et diversifiée pour constituer un échantillon sinon représentatif, du moins révélateur de tendances.
Que retenir de cette année 2024 pour notre marché ?
- On ne va pas se mentir, l’ambiance est moins à l’optimisme qu’à l’opportunisme. Nous vivons une période d’incertitude et de bouleversements. Les crises économique, sociétale, politique et géopolitique semblent converger avec en parallèle, la révolution technologique de l’Intelligence Artificielle qui oblige tout le monde à s’adapter dans l’urgence.
- Pourtant l’année avait commencé dans la sérénité et s’annonçait normale. Le mois de mai marquait sa pose habituelle mais en 2024, les ponts sont devenus des viaducs et la France s’est arrêtée comme si nous étions en août. Rien de bien nouveau, on allait se rattraper avant les vacances. C’était sans compter cette lamentable dissolution de juin, et la perspective annoncée que rien ne se déciderait côté politique avant la fin des JO en septembre. Les JO nous ont distrait, et même redonner confiance mais sans booster l’activité. Les choses auraient pu reprendre en septembre mais les incertitudes politiques demeurant, la prudence restait de mise et les investissements pub en bernes. Arrive la fin d’année, les agences de communication constatent qu’elles ont pris 2 mois de retard qu’elles n’ont jamais pu rattraper. Celles dont les trésoreries étaient fragiles se retrouvent en difficultés tandis que les plus solides affichent un recul, certes supportable, mais délétère pour le moral.
La bonne nouvelle est que nous n’observons pas de casse retentissante mais le réveil du début d’année 2025 risque d’être douloureux pour les agences après 3 belles années post-Covid.
Sur le front des appel d’offre les signaux d’un marché qui se tend apparaissent et les professionnels retiendront de 2024 que beaucoup d’énergie fût dépensée pour peu de victoires convaincantes :
- – Moins d’AO notamment de la part des grands compte B2C signe d’une consommation malmenée.
- – Baisse nette des projets de refonte de sites signe d’un attentisme
- – Les budgets objets de consultations globalement en diminution et même parfois révisés à la baisse en cours de collaboration
Essayons de dégager des tendances :
Côté agence : une cartographie des agences de moins en moins lisible :
- – Tendance à la spécialisation des agences les spécialistes résistant mieux que les généralistes et même progressant pour certaines
- – Les agences généralistes condamnées à muscler leur Valeur Ajoutée , ces dernières délaissant peu à peu les parties les plus techniques de leurs activités comme le développement web qu’elle sous-traitent.
- – Banalisation de certaines spécialités telles que le social média et le brand content qui va avec. Les experts historiques ont du mal à faire émerger leur différence parmi des discours qui s’uniformisent
- – Disparition des agences web traditionnelles peu à peu absorbés par des ESN. Celles qui restent indépendantes se spécialisent sur des segments tech de plus en plus précis (UX / design /data marketing/ e-commerce/ search …
Côté annonceurs : l’autonomisation se renforce sous la pressions des tensions économiques :
- – Pression sur la productivité : les équipes à qui l’on demande de faire plus avec moins gèrent l’urgence au lieu du stratégique. Il en résulte moins de budgets stratégiques confiés à l’extérieur
- – Attentisme face à l’incertitude économique : les prises de décisions s’allongent ; On reporte les refonte de plateforme de marque ou de site web
- – Les annonceurs industriels, B2B, déjà peu structurés en com-market se replient sur le business à court terme et laisse tomber les initiatives qu’ils avaient pu prendre pour s’ouvrir à la com.
Conséquences de l’autonomisation des annonceurs d’une part et de la spécialisation des agences de l’autre :
- – la tendance, déjà nette l’an passé, (notamment chez les gros annonceurs) se confirme. Les annonceurs s’équipent en interne pour produire plus vite et moins cher la communication à faible valeur ajoutée et recourent aux frees pour assurer la bande passante.
- – Les annonceurs cherchent à s’entourer d’agences de plus en plus expertes et attendent du dirigeant (moins prompt à changer de crèmerie et réputé plus sénior) qu’il soit impliqué même pour des budgets modestes
- – La constitution d’une garde rapprochée d’agences expertes et complémentaires, révèle la volonté des annonceurs de maitriser leur mix agence et de reprendre la main sur leur stratégie globale (charge à eux de les coordonner). On note au passage que l’agence qui travaille sur la marque n’a plus la priorité sur les autres agences.
- – Un format d’agence particulièrement apprécié des annonceurs semble émerger : Il réunit expertise à valeur ajoutée, implication du dirigeant et agilité à délivrer avec un positionnement clair et le plus précis possible. La taille idéale s’établie à 15 à 20 permanents avec une part significative de séniors.
- – On constate ainsi la constitution de pools d’agences réunis sous l’impulsion d’annonceurs, ou plus spontanément selon les affinités et complémentarités entre agences ou proposées clés en main par des groupes déjà constitués capitalistiquement.
- – Dans ce contexte, le rôle du « bizzdev » d’agence semble faire obstacle à une bonne coopération entre agence et annonceur. En effet, dans un monde complexe, les questionnements des annonceurs sont souvent pointus et requierent des réponses expertes. Le business développeur, par essence généraliste, ne sait pas forcément détricoter une problématique exposée de façon partielle et encore moins la retranscrire en interne à l’agence. Le choix du prestataire passe par le feeling entre l’expert et l’annonceur, et surtout dans la capacité du représentant de l’agence à être un accoucheur de la problématique et à laisser entrevoir les solutions. Il y’a de plus en plus la place pour une forme de pré-coopération en avant-vente, une phase de cadrage de la future mission qu’il serait bienvenu de rémunérer.
Perspectives : le paradoxe de l’effet ciseaux :
- – Le secteur est écartelé entre un climat incertain (incertitude politique en France, incertitude géopolitique mondiale, incertitude économique) qui invite à la prudence et l’accélération d’un monde qui se complexifie sous l’impulsion d’innovations galopantes qui obligent les entreprises une remise en question. Le réflexe naturel courtermiste de prudence se heurte à la vision plus prospective de l’IA. L’incertitude provoque des non choix, on temporise, on n’investit pas alors que l’IA invite à ne pas louper le train du nouveau monde qui se profile.
- – Le phénomène IA se pose différemment coté agence et cote annonceur :
- Pour les agences, l’IA est un outils de productivité et d’aide à la créativité. Il ne provoque pas de remise en cause fondamentale du métier d’agence (de la strat, de la créa et de la mise en œuvre). L’IA est finalement un non sujet pour les agences. Leur problématique est prioritairement la valeur ajoutée qu’elles apportent à leur clients. En revanche, L’IA leur offre l’opportunité de renforcer leur capital immatériel en mettant à disposition de leurs clients leurs outils, méthodes et toute la mémoire de leur savoir-faire facilement mobilisable. Les agences pionnière en la matière vont prendre de la valeur avec l’IA
- Chez les annonceurs, c’est plus compliqué car l’IA vient percuter la culture et les organisations. L’IA étant un vecteur de transformation, la question se pose de qui décide ou non d’y aller et qui la gère. Comme pour toutes les transformations, l’impulsion doit venir du plus haut niveau, et la mise en œuvre est plus longue.
La résultante, que l’on soit agence ou annonceur, est qu’il va falloir apprendre à travailler ensemble : l’histoire est en train de nous imposer ce que, aux Stratèges, nous défendons depuis le début :
– Avant même l’arrivée de l’IA, la com, sous l’impulsion du digital, s’était déjà énormément complexifiée. Le contexte mondial général ajoute de l’instabilité. L’IA tout en augmentant considérablement nos capacités (plus d’info traitée, dans un temps de plus en plus compressé,) rajoute une grosse dose de complexité. L’incertitude que nous observons aujourd’hui, crée les doutes, et tétanise tout le monde. On peut douter, s’interroger, questionner le sens, etc… mais il va falloir s’habituer : l’incertitude, la complexité et l’instabilité sont désormais une constante et il faut faire avec.
Cela implique de conjuguer deux attitudes en parallèle :
- – l’Action : agir et faire des choix : dans un monde complexe et incertain, l’immobilisme est suicidaire. Peu importe si on fait des mauvais choix pour peu qu’on fasse des choix. On corrige ensuite. 20 ans de digitalisation nous ont appris à dédramatiser le test & learn. N’attendons pas pour passer à l’action. Le risque est plus grand d’être embarqué par le courant avant d’avoir agi. Rappelons ce proverbe chinois : « seul les poissons morts nagent dans le sens du courant » tandis que les avions décollent toujours face au vent. Aujourd’hui, j’observe des agences qui racontent toutes à peu près la même histoire. Elles rechignent à opérer les choix dans leur positionnement, trop inquiète d’un chiffre immédiat, alors on saute sur toute les opportunités, on répond à des AO foireux, on ne sait pas dire non, on ne choisit pas ! Où sont les convictions ? Celles qui distinguent une stratégie d’une autre ? Qui prend encore des risques créatifs ? Où sont les belles campagnes qui vont ancrer durablement des marques dans les esprits ?
- – Le collectif : ensemble on est plus fort : Plus l’environnement est complexe, plus les choix sont difficiles à faire. Trop d’inconnues! Tout choix comporte des risques. Quel que soit le sujet, il est quasi impossible d’avoir une vision globale. Alors décidons avec ce que nous avons, notre intelligence humaine (qui peut être instruite par l’IA) et le collectif, la confrontation créatrice des idées. La seule manière de réduire partiellement l’incertitude c’est que les décisions soient coopératives. La fameuse co-construction! nous sauvera. La question se pose alors de l’équipe constituée entre l’annonceur et l’agence qui implique écoute réciproque, considération et équilibre. Equilibre experts et généralistes, juliors et séniors, feminin et masculin. Personne ne doit vivre au dépend de l’autre si l’on veut une relation agence-annonceur durable et désirable.
Conclusion générale :
- Nous constatons un regain d’intérêt pour l’autorité de marque en réaction à un contexte de communication incertain, où les marques sont malmenées :
- – Dans le search où la majeur partie des requêtes n’aboutissent plus sur les site de marque
- – Par des briefs incomplets et peu ambitieux pour les marques
- – Par des budgets sacrifiés au profit de la génération de leads à court terme
- – Par des actions tellement ciblées qu’elles ne rayonnent pas au-delà d’un « very » cœur de cible
- – Par des remaniements fortuits à l’occasion d’autres chantiers
- Les marque fortes résultent de choix et de prises de risque. En considérant la marque comme une valeur refuge, c’est en investissant durant les périodes troubles que l’on construit les leaders de demain. La période est finalement propice à voir naitre de grandes marques iconiques portées par des campagnes qui marqueront.