Quand le planning stratégique est dirigé par le newbizz, les agences ne réfléchissent qu’une seule fois!

Par François Pinochet Secrétaire Général des Stratèges, observateur attentif des tendances de notre secteur.

Les deux fonctions, planning strat d’une part et newbizz de l’autre, tendent à se confondre :

  • 30 % des profils linkedin des planneurs strat mentionnent également la fonction newbizz.

  • La quasi-totalité des descriptifs de poste des offres d’emplois pour des fonction de planneur-strat se cantonnent à un travail de recommandation dans le cadre d’appels d’offres.

Constat : au sortir de l’ère du test & learn digital, les annonceurs reprennent la main sur les stratégies

Pendant une bonne quinzaine d’années, portés par les révolutions digitales, les agences ont pris l’habitude de vendre davantage du conseil en nouveauté que de la stratégie : nouveaux canaux, nouvelles technos et nouveaux usages. Une innovation chassant l’autre, les reco ont glissé en stratégie de moyens.

Le rythme des innovations a ralenti, ou plus exactement la maturité digitale progressant, les innovations paraissent moins bluffantes. Parlons d’ailleurs plutôt de nouveauté que de réelles innovations. Les agences ont perdu cet avantage d’avoir toujours une nouveauté d’avance ce qui les rendait si séduisantes. Dans le même temps, les entreprises ont largement recruté des compétences parmi les agences. La génération digitale a accédé aux fonctions de direction, si bien que le niveau de maturité digital des annonceurs est aujourd’hui équivalent à celui des agences. Ce qui apparaissait comme une nouveauté est vite assimilé par les deux parties et ne fait plus la différence. La culture numérique a également apporté dans ses valises celle des KPI. Conséquence : un mouvement de rationalisation après les années de test & learn débridées où, il faut bien le reconnaitre, agences comme annonceurs se sont fait plaisir. Fin de la récrée, les annonceurs se réapproprient la stratégie globale. Des budgets sont rapatriés en interne, place à l’exigence stratégique. Fini la période où la forme passait avant le fond, le vecteur avant le message, la techno avant le concept …

Conséquence : évolution des organisations et des modes de collaboration avec les agences

  1. La montée en maturité digitale des entreprises s’accompagne d’une montée en autonomie. Les équipes communication s’étoffent en piochant dans les agences et en ayant recours aux alternants. En intégrant les basiques de la communication, les entreprises gagnent en réactivité et réalisent des économies. Le recours complémentaire aux freelances leur permet d’assurer la bande passante.
  2. Elle réservent alors les investissements en conseils externes aux expertises les plus pointues. Dans ce cas elles privilégient des petites structures où elles ont directement accès aux dirigeants-experts dans une collaborations laissant une part importante aux transferts de compétences.
  3. Les annonceurs ont appris à collaborer avec des experts et animent eux-mêmes leurs réseaux de prestataires. En reprenant la main sur la stratégie, le Dircom redevient un coordinateur qui se constitue sa garde rapprochée avec un pool d’agences spécialisées et d’indépendants experts. Les Dircom, plus séniors, savent de mieux en mieux ce dont ils ont besoin. Les remises à plat en profondeur de la marque et de l’ensemble de la communication se font plus rares. On observe de moins en moins ces grands appels d’offres globaux avec pléthore d’agences difficilement comparables qui épuisaient le secteur. Et c’est tant mieux !

Face à ces nouvelles exigences des entreprises, on voit les agences remettre en avant leur apport stratégique et leur créativité. Cela donne parfois l’impression qu’elles courent sur le quai pour attraper un train qui part sans elles. Il n’y aura pas de place pour tout le monde sur ce marchepied.

On redécouvre les agences dites de « publicité ». Le mot était tombé en désuétude. Il revient en force pour insister sur la valeur du concept créatif et de la stratégie, la vraie. Mais l’agence de « pub » n’a plus cette place privilégiée d’agence leader qui donnait le tempo de toute la communication. Désormais elle doit prendre place parmi les experts de la garde rapprochée au même titre que d’autres disciplines du mix communication. Leur périmètre se réduit à une réflexion de marque et à la définition d’un territoire d’expression  plus rare et ponctuel. La déclinaison leur échappe et met en péril leur modèle économique.

Le modèle de l’agence 360 a vécu et l’argument du guichet unique n’en est plus un.

Les agences ressortent alors des placards la fonction de planneur stratégique afin de bien montrer leur dimension conseil. Là encore la fonction trouve ses limites et se heurte aux attentes paradoxales des annonceurs : J’entends souvent les annonceurs regretter le manque de proactivité de leurs agences. Ils leur reprochent d’être plus soucieuse de délivrer que d’apporter de la valeur en réflexion. Ils veulent être challengés, qu’on les aide à prendre du recul et à regarder autrement mais ils ne sont pas prêts à rémunérer ces apports spontanés et quotidiens.

Résultat, le planneur stratégique n’est réellement sollicité que lors des appels d’offre et sa fonction fini par se confondre avec celle du business développeur. Il ne réfléchit véritablement qu’une seule fois ! Quel dommage ! Quel gaspillage d’intelligence et de créativité.

 

Je rêve d’une fonction de planneur strat qui ne serait pas directement au contact des clients et mixerait 3 compétences :

  • La veille client : Une fonction qui prendrait le temps que les opérationnels (chefs de projets ou directeur de clientèle) n’ont pas pour veiller l’univers client.
  • La réflexion proactive : ces mêmes personnes, moins soumises à la pression client, auraient le recul suffisant pour élaborer des recommandations spontanées à proposer au fil de l’eau, au client annonceur.
  • La formation des opérationnels : plus expérimentés que les chefs de projets et disposant d’une culture plus large des marques et de la communication, ils seraient d’excellents mentors pour les jeunes responsables de clientèle (ce qui aurait probablement pour conséquence de les fidéliser en les faisant progresser dans leur métier)

Je suis convaincu, que les entreprises seraient prêtes à ajouter une ligne dans le budget de leur agence pour bénéficier de cette prise de recul permanente.