DIRCOM : le filtre indispensable de la relation agence/annonceur.

Article co-rédigé par David Bessis responsable communication chez Rubix et François Pinochet secrétaire général Les Stratèges

Il y’a quelques semaines, David Bessis, éminent DIRCOM  membre des Stratèges, publiait sur Linkedin un post à succès : « 10  phrases magiques pour donner le sourire à un communicant ». Chacun y est allé de son commentaire pour choisir sa phrase préférée, celle qu’il aimerait tant entendre de la part de ses clients chéris… dans un monde idéal.

Ces phrases n’ont rien d’une fiction et bien des agences les ont entendu exprimées plus ou moins fidèlement par des clients ou prospects. Un chef de projet encore junior pourrait s’en réjouir mais reconnaissons qu’elles comportent (à l’exception de la 10ème) les indices de collaborations difficiles à venir. Mon attention a été attirée par le décalage qu’il semblait y avoir entre la perception des agences, souvent ironiques et celles des responsables communication, facilement enthousiastes lorsqu’ils les entendaient de l’interne. J’ai donc mené l’enquête, questionné agences et annonceurs, et suis arrivé à la conclusion que l’essence même du Dircom résidait justement dans son rôle, non pas de passeur, mais de filtre à valeur ajoutée créant les conditions pour que l’agence donne le meilleur d’elle-même.

Reprenons donc ces 10 phrases magiques et observons comment elles sont reçues selon que l’on est le Dircom de l’entreprise ou chef de projet de l’agence :

 

1 – « On a pensé à vous intégrer au démarrage du projet. »

Point de vue de Dircom : La phrase sonne comme un graal ! Trop beau pour être vrai ! Combien de fois je suis appelé par un responsable de service sur un projet où tout a déjà été décidé, le nom du projet, le plan de com, etc., y’a pu ka!!. Pourtant, le plan de com est approximatif, l’équipe demandeuse ne s’est pas posée les bonnes questions. Je sais qu’en quelques remarques de ma part, je vais les aider à voir leur projet d’une manière différente et qu’ensemble nous allons aller beaucoup plus loin. Eux mêmes seront plus impliqués dans la mise en œuvre et donc bien moins critiques quant au résultat.

Point de vue d’agence : Encore heureux ! Rien n’est plus démotivant pour une agence que sa force créative et son conseil stratégique ne soient pas reconnu d’évidence et que l’on cantonne son intervention à la gestion de projet. La phrase est d’emblée suspecte et reçue comme un signal faible : le client a déjà son idée et ça va être compliqué. Il va falloir passer du temps à déconstruire quelques idées reçues, pas évident surtout dans la position du prestataire externe.

2 – « Vous avez carte blanche, surprenez nous. » 

Point de vue de Dircom : J’apprécie la liberté qui m’est offerte même si le challenge n’est pas si facile à relever au regard de l’idée que le demandeur s’en fait. Je retiens surtout qu’il y a des gens dans l’entreprise qui aiment la Com. Je prends néanmoins le temps de déminer le terrain en sondant les limites de ma liberté.

Point vue d’agence : Non mais allo ! On n’est pas au cirque ! l’agence n’est pas là pour épater le client mais pour contribuer à résoudre une problématique. Et puis, jusqu’à quel point avons-nous réellement carte blanche ? Alors on pose la question qui remet tout le monde dans la réalité : « quel budget ? »

3 – « On a une demande, c’est pour dans 6 mois. »

Point de vue de Dircom : Les messages que je me tue à faire passer semblent avoir été entendus. En effet, la lutte contre le manque d’anticipation dans l’organisation est quotidienne. Tout le monde le sait : la com c’est vite fait bien fait. Malheureusement, nous intervenons en bout de chaine et l’on se retrouve souvent dans le cas d’un projet programmer sur 6 mois où le service com est contacté 1 mois avant la deadline. Alors on ne va pas bouder notre plaisir et même si on prend le temps pour s’y mettre, au moins on sait, on anticipe, on prévoit…

Point vue d’agence : C’est bien mal connaitre le fonctionnement des agences. Le dossier va passer sous la pile dans l’ordre des urgences. Au mieux on va prendre tout notre temps en amont pour bien poser la problématique, documenter le contexte, constituer l’équipe projet, réunir tout le monde pour les phases créatives. Le temps s’écoule si vite qu’on se retrouve charrette au moment de la mise en œuvre …

4 – « Je n’ai pas d’avis, je vous fais confiance, c’est vous l’expert. »

Point de vue de Dircom : Tout le monde a un avis sur la communication et ne se prive pas de le donner plus ou moins ouvertement,  le comptable, l’informaticien, la fille du DG… j’en viens à apprécier l’interlocuteur sans avis, celui qui reconnait modestement « je ne suis pas pertinent  pour avoir un avis ». En résumé, il me demande juste de faire mon boulot sans idée préconçue : cool ! On va pouvoir bosser sereinement avec notre chère agence.

Point vue d’agence : C’est sympa d’exprimer sa confiance mais l’aveu d’incompétence est inquiétant. Le client est sensé avoir un minimum de culture communication. C’est de la confrontation de son avis avec celui de l’agence que naitront des pistes. Formulé ainsi c’est se désengager d’un processus de co-construction et c’est un piège pour l’agence, car tôt ou tard, et surement trop tard, le client se réveillera pour donner son avis .

5. « On veut que notre communication soit parfaitement alignée avec la stratégie. »

Point de vue de Dircom : Pour le Dircom que je suis, ça semble évident, mais venant d’une direction générale, c’est la reconnaissance du rôle stratégique de la com pour notre entreprise. C’est le signal que je peux agir sur la stratégie d’entreprise … mon service n’est plus juste un exécutant qui pond des campagnes, des slogans, des affiches…

Point vue d’agence :  c’est le contraire qui serait étonnant ! On comprend ce préalable car il a souvent été reproché aux agences de brasser du vent ! Si le client éprouve le besoin de rappeler une pareille évidence c’est qu’il a un doute ou que la confiance n’est pas encore établie. Soyons vigilant et élevons le niveau de notre réflexion.

6. « Votre accompagnement est essentiel à la réussite de ce projet. »

Point de vue de Dircom : Voilà une phrase qui flatte notre ego. On aime se sentir indispensable. Comme la phrase précédente, elle peut être comprise comme une reconnaissance envers un métier, un vrai rôle, avec une vraie utilité.

Point vue d’agence : Comment doit-on prendre cette phrase ?  Avec cynisme ou avec naïveté ? Si la communication était le seul levier de réussite d’un projet, ça se saurait ! Faut-il comprendre que l’interlocuteur joue sa place ? Qui décide dans l’organisation ? Ne gagnerait on pas du temps à voir directement avec le boss ?!

7. « C’est quand même technique votre métier… »

Point de vue de Dircom : où quand l’interne réalise que la com est un métier. Une autre manière d’exprimer de la reconnaissance et je dois reconnaitre que  la digitalisation, avec son cortège de complexité, a joué pour nous, simples dircom ! Nous avons évolué du statut de GO au Club Med, de photoshoppeur à ses heures perdues, ou d’artiste contrarié à celui de vulgarisateur technique. La com reste néanmoins l’un des rares métiers ou n’importe qui peut donner un avis, sur la taille du logo ou la couleur.

Point vue d’agence :  la candeur de cette remarque a au moins le mérite de la franchise ! Tellement d’entreprises considèrent encore que les métiers de communication sont à la portée de n’importe qui ! On a tellement l’habitude de compatir vis-à-vis de nos interlocuteurs considérés comme le service crayon de couleur de leur entreprise !

8. « On envisage un gros événement pour l’entreprise, vous avez des idées ? »

Point de vue de Dircom : En général, qui dit gros événement, dit Direction de la Com aux manettes, surtout quand on te demande une idée en amont. C’est les rares moments où la Direction Com peut impulser du lead sur toutes les autres directions et être vraiment écoutée.

Point vue d’agence : Bien sûr qu’on a des idées, nous sommes entrainés pour ça. On ne va pas vous donner la 1ère idée en l’air qui nous vient et surtout pas gratuitement. D’ailleurs une idée reçue finit toujours par couter cher ! Alors prenez d’abord la peine de formuler un brief.

9. « Il reste du budget supplémentaire, ça t’intéresse ? »

Point de vue de Dircom : Non ?! c’est pas une blague? On sait que dans des contextes tendus, la Com est vite perçue comme un centre de coût et jamais comme un investissement (avec un ROI assez flou). J’entends plus souvent « moins cher » « moins de budget » « faire des économies »…

Point vue d’agence : Quelle condescendance vis-à-vis de l’agence ! A croire que toutes les agences ne pensent qu’au fric alors que toutes rêvent de budgets où l’on peut juste faire les choses bien. S’il reste du budget, que ne l’a-t-il pas dit au départ? Le projet aurait été plus ambitieux. Au stade d’avancement du projet, on ne peut que rajouter des rustines sans véritable impact.

10. « Merci pour tout ! »

Point de vue de Dircom : Simple, efficace, et tellement apprécié! Là c’est tout simplement ma manière de bosser qui est salué : L’humain au cœur des échanges car au-delà de la collaboration entre professionnels de la com, bosser avec une agence, c’est « intégrer », au moins temporairement, l’agence à son équipe et à la vie de l’entreprise. Donc on dit merci quand ça se passe bien. Normal ! Non ?

Point vue d’agence : Ce qui rend les agences plus impliquées et donc plus performantes, ce n’est pas l’importance des budgets qu’on leur confie, mais la considération qu’on témoigne aux équipes opérationnelles. Elles sont moins sensibles au budget qu’à l’importance de délivrer dans les délais impartis avec le niveau de qualité attendu. Les remerciements de leur propre direction tardant à venir, c’est la reconnaissance de leur client qui donne des ailes à l’équipe pour les collaborations à venir.

Un client est légitime à se montrer exigeant s’il se montre juste, compétent et reconnaissant. C’est ce que j’appelle un client professeur. Mais un client capable de prononcer l’une des 9 premières phrases sans le filtre d’un Dircom est vite considéré comme un client toxique. Chaque phrase contient alors le poison qui dévitalise insidieusement l’agence.

 

Lorsque je regarde les pubs et que j’en vois une particulièrement originale et percutante ( génération Culture Pub oblige), je ne me dis jamais « waouh ! Cette agence a du talent ! » Elles en ont toutes ! Non, je me dis toujours, « waouh ! le client est culoté, il a eu le courage d’acheter cette piste créative ! ».  Grâce à qui ? Au Dircom qui a su défendre la proposition vis-à-vis de l’interne puis créer les conditions propices au travail de l’agence en filtrant les phrases toxiques pour ne garder que la magie de la co-construction.